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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

mon tour à vous faire des sermons, je le vois : ce sera neuf et surprenant. — Sermonneur ou pénitent, je suis votre amie à présent et toujours.

« George. »


« Mon ami, m’avez-vous encore une fois oubliée ? Je ne vous le permets pas, moi. »


« (20 juin 1833.) Qu’est-ce que vous devenez, mon ami ? Il y a bientôt quinze jours que je ne vous ai vu. Seriez-vous malade ? Je désirerais bien vous parler pour une affaire qui ne m’est pas personnelle, mais qui m’intéresse et à laquelle vous pouvez quelque chose.

« Est-ce que, vous aussi, vous boudez les hommes et repoussez l’amitié ? Vous empiétez sur les privilèges des méchants comme moi. Vous usurpez un droit qu’il faut nous laisser, entendez-vous ?

« A v.
« George. »


« (18 juillet 1833.) Mon ami, tout cela est bien cruel, bien triste, bien malheureux et me jette dans un très-grand découragement de la vie et de la société. Si j’ai été amère, vraiment je n’en sais rien, je ne m’en souviens plus. J’ai des jours comme cela ; il faut me les pardonner, car j’ai beaucoup souffert et je souffre beaucoup encore de toutes choses. Je vois à tout cela une bien déplorable conclusion, c’est que rien n’est vrai. Je vous le disais bien, l’amitié n’est pas une affection qui puisse faire vivre. Vous prétendiez que si. Vous voyez bien ! Nous sommes tristes, malheureux, souffrants ; l’amertume nous vient de tous côtés ; nous donnerions le reste des jours qui nous sont comptés pour voir, ne fût-ce qu’une heure, un visage ami, pour presser une main sincère, pour entendre des paroles d’encouragement et de bonté. Eh bien ! ce sont de vains besoins du cœur qu’il faut étouffer, car à cette heure-là nos amis sont occupés ailleurs : l’un songe à la gloire, l’autre à ses amours, un autre boude on ne sait pourquoi, et l’on reste seul. C’est une bonne et rude leçon, et l’on en profite ; mais il est bien des malheureux qui ont longtemps porté leur joug avec courage, et qui un jour se sont enfin soustraits à ce joug de plomb : ceux-là, on les plaint et on les oublie, et c’est encore bien ; mais je suis sûre que, si l’on eût pu recueillir les dernières