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GEORGE SAND.

d’impossible, qui était presque inévitable dans un roman-poëme, déconcerte un peu et nuit à la suite de l’émotion. L’auteur a heurté à plusieurs reprises cet écueil, bien que chaque fois il ait tâché de le recouvrir sous d’immenses richesses.

Comme témoignage de lui-même, comme déploiement de sa force et de son talent, si l’auteur n’avait visé qu’à cela, Lélia atteindrait certes le but. On peut plus ou moins aimer cette œuvre, selon qu’on y reconnaît plus ou moins les pensées et la situation de son âme, selon qu’on est plus ou moins facile à la vibration poétique ; on peut la réprouver plus ou moins vivement, selon qu’on est plus ou moins sûr d’avoir trouvé le remède moral et la vérité ; mais on ne peut qu’être émerveillé de ces ressources infinies dans une femme qui a commencé, il y a environ dix-huit mois, à écrire. En lui désirant plus de calme dans la conception, et une continuité plus réfléchie, on admire cette rare faculté de style et cette source variée de développements. J’irai même jusqu’à reprocher à ce style ses formes trop savantes, trop arrêtées, qui n’ont jamais de défaillances gracieuses, de négligences irrégulières, comme Jean-Jacques ne se les permettait pas, comme Mme  de Sévigné et tant d’écrivains du grand siècle en offrent délicieusement. Il y a certains replis délicats de la pensée qui ne se trahissent que par ces oublis de l’écrivain. L’auteur de Lélia n’a point de ces oublis : il m’a semblé que quelquefois même son talent seul achevait un développement qui était commencé avec l’âme. Les couleurs, la science, l’harmonie, affluent, se