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GEORGE SAND.

comme certains esprits plus positifs, la nécessité de réformer trois ou quatre articles du Code civil, nous pensons qu’il doit y avoir sous ce singulier phénomène littéraire une indication sociale assez grave ; nous aimons surtout à y voir un noble effort de la femme pour entrer en partage intellectuel plus égal avec l’homme, pour manier toutes sortes d’idées et s’exprimer au besoin en sérieux langage. Le sexe en masse ne deviendra jamais auteur, nous l’espérons bien ; mais beaucoup d’ignorances et d’interdictions seront levées pour lui, dussent même quelques grâces d’Agnès y disparaître. Aux abords de l’ordre social où nous touchons, en des situations de plus en plus rapprochées et nivelées, la femme aura à se pourvoir de moins de culte et de plus d’estime.

Parmi les femmes qui se sont ainsi lancées, la plainte à la bouche, dans cette mêlée, la plus éloquente, la plus hardie, la première de bien loin en talent, a été sans aucun doute l’auteur d’Indiana, l’accusatrice de Raymon de Ramière. Nous avons essayé autrefois de caractériser le genre de mérite et d’intérêt de ce premier ouvrage, mais sans faire assez ressortir peut-être l’inspiration philosophique et l’esprit de révolte contre la société qui perçait en maint endroit ; ce même esprit, qui ne s’était montré dans Valentine que sous des nuances moins directes et plus distrayantes, vient d’éclater avec toute son énergie et sa plénitude dans Lélia, roman lyrique et philosophique. Vers l’âge de trente ans, combien n’est-il pas actuellement de femmes qui, belles encore, ayant devant elles, ce