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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

cieux et tendre de Wilkie, on a, au retour, cette nature si fleurie et si odorante, sur laquelle la nuit jette ses ombres grandioses et que la lune éclaire avec beauté ; on a, dans ces solitudes suaves, un chant mélodieux de jeune homme qui arrive tout d’abord au cœur d’une amazone égarée comme Herminie. La vie réelle reprend bientôt, et nous découvre soudainement ce qu’elle a de plus pathétique : on a les embrassements convulsifs et l’effusion des deux sœurs. Je veux indiquer toutefois deux points qui m’ont paru moins justement touchés et comme artificiels dans cette trame si parfaitement liée. Le premier, c’est le songe de Louise, au moment où Valentine arrive à son chevet. Ce songe si détaillé, et qui semble d’abord d’une grâce si ingénieuse, n’ajoute rien au dramatique de la situation, et la refroidit plutôt par une intention trop évidente ; c’est là un songe trop poétique et prophétique ; c’est presque un songe épique, un songe d’Athalie. L’autre point qui m’a choqué, le dirai-je ? et que j’hésite à signaler, tant les effets en sont charmants, c’est le baiser solennel et fraternel que Louise, dans sa reconnaissance, fait donner à Bénédict par Valentine. Si Louise était une toute jeune sœur de Valentine, une sœur de huit à dix ans au plus ; si, dans son bonheur de retrouver son aînée, et au milieu des baisers reçus et rendus avec ivresse, l’enfant naïve s’écriait : « Et ce pauvre Bénédict, il n’y a donc rien pour lui, ma sœur, pour lui qui a été assez bon pour vous amener à moi ! » je sourirais et je comprendrais cette joie enfantine qui a besoin de se répandre à l’entour par des témoignages ; mais Louise,