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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

hommes d’une éducation vulgaire, suivant la remarque de l’auteur, aiment les grâces qui attirent, les yeux qui préviennent, le sourire qui encourage, il n’en va pas ainsi de Bénédict : ses observations malignes ont plus d’une fois troublé jusqu’aux larmes la coquetterie naïve et réjouie de sa fiancée. Bénédict est bien fait de sa personne ; son visage, d’une pâleur bilieuse, exprime la fierté et la distinction ; il a les lèvres minces et mobiles et un certain regard singulier qui marque une force étrange de caractère et qui fascine.

Outre le bon couple Lhéry, leur fille Athénaïs et leur neveu Bénédict, il se trouve, depuis deux mois environ, à la ferme, un nouvel habitant qu’un respect mêlé de mystère environne et qu’on désigne simplement sous le nom de Mme  ou Mlle  Louise : c’est une femme petite, de taille bien prise, de visage noble à la fois et joli, naturellement élégante dans son négligé, qui paraît vingt-cinq ans au premier abord, mais à laquelle on en accorde au moins trente en la regardant de près ; car elle porte les traces de la vie et des chagrins. Or, on est au premier mai, jour de grande fête champêtre, à deux lieues de là ; toute la Vallée noire y va danser et s’épanouir ; les habitants de Grangeneuve font de grands frais de toilette : Mlle  Athénaïs surtout nage dans ses étoffes et luit dans ses joyaux. Le père Lhéry en bas blancs, en culotte rayée, en gilet à fleurs, avec ses cheveux noués en queue, attend béatement l’heure, les mains sur les genoux, et se chauffe par habitude. La mère Lhéry hésite encore entre le