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GEORGE SAND.

sorte, après avoir épuisé jusqu’au bout son erreur, je ne puis plus concevoir qu’Indiana guérisse si facilement, qu’elle recouvre un front serein, un sourire purement heureux, une félicité presque virginale sous les palmiers de sa chaumière : idylle en tout surchargée, tableau final qui renchérit trop sur celui par lequel Paul et Virginie commence ! Je conçois bien qu’à l’âge d’Indiana, et malgré la blessure d’une si furieuse passion, on s’adoucisse, on vive, on oublie un peu, et qu’après un intervalle assez long, on finisse même par aimer ailleurs ; mais ici le passage est brusque, la guérison magique ; sir Ralph joue le rôle d’un véritable Deus ex machina, qui, déguisé jusqu’alors en quelque rustre, et demeuré témoin insignifiant du drame, se révèle soudain, reprend sa haute beauté et ravit à lui l’Ariane : l’histoire réelle finit comme un poëme mythologique.

Le caractère de Raymon de Ramière offre une personnification effrayante, mais non exagérée, de cet égoïsme séduisant, de cette grâce affectueuse, de cette éloquence, de cette sensibilité toujours au service de sa propre satisfaction et de son plaisir. Combien de natures originellement riches et tendres se sont ainsi perverties, tout en continuant de plaire, et d’abuser les autres, et de s’abuser elles-mêmes ! Que de sourires enchanteurs, que de larmes faciles et hypocrites, dont celui qui les prodigue est dupe jusqu’à un certain point, et qui cachent à tous les yeux, même aux siens, un fonds hideux de personnalisme ! Si les Raymon de Ramière au complet sont assez rares,