Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/480

Cette page a été validée par deux contributeurs.
472
PORTRAITS CONTEMPORAINS.

Indiana n’est pas un chef-d’œuvre ; il y a dans le livre un endroit, après la mort de Noun, après la découverte fatale qui traverse l’âme d’Indiana, après cette matinée de délire où elle arrive jusque dans la chambre de Raymon qui la repousse, — il y a là un point, une ligne de démarcation où la partie vraie, sentie, observée, du roman se termine ; le reste, qui semble d’invention presque pure, renferme encore de beaux développements, de grandes et poétiques scènes ; mais la fantaisie s’efforce de continuer la réalité, l’imagination s’est chargée de couronner l’aventure. On admire le talent dans cette dernière moitié ; mais ce n’est plus la vérité palpitante, l’impression franche, l’émotion du commencement. Indiana, par ce manque d’ensemble et, pour ainsi dire, de continuité, se trouve au-dessous de quelques romans de moindre dimension, et peut-être aussi de moindre portée, qu’on doit à la plume de femmes célèbres : Eugène de Rothelin, Valérie, comme œuvres, sont autrement complets et harmonieux dans leur simplicité. Indiana rappelle davantage Delphine, à laquelle je ne la trouve pas de bien loin inférieure, et qui, dans son étendue, offre également des disparates de composition. Les deux romans ont en outre cela de commun, d’obéir à une tendance philosophique, de viser à une moralité analogue, plus explicite et tout en dehors chez Mme  de Staël, plus sous-entendue et laissée à la sagacité du lecteur dans Indiana ; les divagations métaphysiques à la mode, du temps de Mme  de Staël, et dont elle ne s’est pas fait faute dans Delphine, sont remplacées de