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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

Triste, dégoûté de tout, voyant sa sœur peu heureuse, sa mère peu consolante, craignant son père au point que, si au retour de ses courses sauvages il l’apercevait assis sur le perron, il se fût laissé tuer plutôt que de rentrer au château, le chevalier essaya en effet de mourir ; il s’enfonça dans un bois avec son fusil chargé de trois balles : l’apparition d’un garde l’interrompit. Il fit une maladie mortelle. Guéri, il était à Saint-Malo, près de passer aux Grandes-Indes, quand on le rappela pour un brevet de sous-lieutenant au régiment de Navarre. Il quitte son père pour la dernière fois.

Ces Mémoires sont de temps en temps entrecoupés par des prologues qui marquent les dates et les situa-

    ver à Sparte, à Sion, à Memphis, à Carthage, et l’apporter à l’Alhambra. Comme le cœur me battait en abordant les côtes d’Espagne ! aurait-on gardé mon souvenir ainsi que j’avais traversé mes épreuves ? Que de malheurs ont suivi ce mystère ! le soleil les éclaire encore ; la raison que je conserve me les rappelle. Si je cueille à la dérobée un instant de bonheur, il est troublé par la mémoire de ces jours de séduction, d’enchantement et de délire. » Un aveu moins prolongé, moins obscurément émouvant, mais précieux encore, se rapporte à la traversée du voyage en Amérique. Bien des parties de description, déjà placées dans le Génie du Christianisme ou dans l’Essai sur les Révolutions, sont remises là à leur vraie place et dans leur premier jour ; ainsi à propos du chant de Notre-Dame de Bon-Secours en mer qu’entonnent les matelots : « Quand je transportais cette description dans le Génie du Christianisme, mes pensées étaient analogues à la scène ; mais quand j’assistais au brillant spectacle, le vieil homme était encore tout entier au fond du jeune homme. Était-ce Dieu seul que je contemplais sur les flots… ? Non, je voyais une femme et les miracles de son sourire. »