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VICTOR HUGO.

chaumières riantes, et aussi, plus l’on approche, d’informes masures et des toits bizarres entassés.

Novembre 1835.




En les relisant aujourd’hui, j’avouerai que ces articles sur Victor Hugo ne me satisfont que très-imparfaitement. Ce sont pourtant (si l’on y ajoute deux anciens et tout premiers articles sur les Odes et Ballades insérés dans le Globe à la date des 2 et 9 janvier 1827), ce sont les seuls morceaux critiques que j’aie écrits expressément à l’occasion de ses œuvres. Je n’ai traité ni de son théâtre, ni de ses derniers romans, ni d’aucun de ses recueils poétiques postérieurs à 1835, ou s’il m’est arrivé d’écrire pour moi quelque chose, je l’ai supprimé. Aujourd’hui que cette vaste et gigantesque carrière s’est tout entière déroulée sans parvenir encore à s’accomplir, je suis le premier à reconnaître qu’avec Victor Hugo, si admirateur que j’aie été et que je sois toujours de toute une partie de sa prodigieuse production, je n’ai jamais réussi ou consenti à prendre son talent pour ce qu’il était, à l’accepter et à l’embrasser dans toute la vigueur et la portée de son développement, tel qu’il était donné par sa nature première et qu’il devait successivement se manifester et jaillir au choc des circonstances. Toujours, en le louant ou en le critiquant, je l’ai désiré un peu autre qu’il n’était ou qu’il ne pouvait être, toujours je l’ai plus ou moins tiré à moi, selon mes goûts et mes préférences individuelles ; toujours j’ai opposé à la réalité puissante, en face de laquelle je me trouvais, un idéal adouci ou embelli que j’en détachais à mon choix. Ce procédé, qui n’est point celui du critique impartial et tout à fait naturaliste, tenait à la fois, sans doute, à l’affection tendre que j’avais mise dès l’abord au succès et au triomphe de ce talent, et aussi à ma tournure d’esprit personnelle. La Bruyère parle quelque part des grands et sublimes artistes qui sortent de l’art pour l’étendre et l’en-