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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

Au résumé, et malgré nos critiques, qui se réduisent presque toutes à une seule, à un certain manque d’harmonie parfaite et de délicate convenance, les Chants du Crépuscule non-seulement soutiennent à l’examen le renom lyrique de M. Hugo, mais doivent même l’accroître en quelque partie. Mainte pièce du recueil décèle chez lui des sources de tendresse élégiaque plus abondantes et plus vives qu’il n’en avait découvert jusqu’ici, quoique, même en cela, le grave et le sombre dominent. On suit avec un intérêt respectueux, sinon affectueux, ce front sévère, opiniâtre, assiégé de doutes, d’ambitions, de pensées nocturnes qui le battent de leurs ailes. On contemple cet homme au flanc blessé, comme il s’appelle quelque part, saignant, mais debout dans son armure, et toujours puissant dans sa marche et dans sa parole. On le voit, rôdeur à l’œil dévorant, au sourcil visionnaire, comme Wordsworth a dit de Dante[1], tour à tour le long des grèves de l’Océan, dans les nefs désertes des églises au tomber du jour, ou gravissant les degrés des lugubres beffrois. Ce beffroi altier, écrasant, où il a placé la cloche à laquelle il se compare, représente lui-même à merveille l’aspect principal et central de son œuvre : de toutes parts le vaste horizon, un riche paysage, des

  1. Wordsworth parle ailleurs (Evening volontaries) de cette douceur (meekness) qui est la pente chérie de tous les vraiment grands et les innocents. Il est lui-même de cette dernière famille, qui, du reste, n’est pas la seule grande, et qui a, en face d’elle, l’autre famille illustre des poètes au sourcil visionnaire. Nous sommes revenu sur ce contraste dans l’article de Jocelyn.