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VICTOR HUGO.

pousse à outrance. Dans la pièce xxxiii, sur une vue d’église le soir, il montre l’orgue silencieux :

La main n’était plus là qui, vivante et jetant
Le bruit par tous les pores,
Tout à l’heure pressait le clavier palpitant
Plein de notes sonores,

Et les faisait jaillir sous son doigt souverain
Qui se crispe et s’allonge,
Et ruisseler le long des grands tubes d’airain
Comme l’eau d’une éponge.

Qu’on me démontre, tant qu’on le voudra, l’exactitude de la comparaison, et l’harmonie coulant le long des tuyaux, comme ferait l’eau d’une éponge dans un lavage général de l’orgue, l’impression que j’en éprouve est déplaisante, désobligeante ; et, loin de l’augmenter, elle amoindrit tout l’effet des beaux vers précédents, effet déjà compromis par ce doigt qui se crispe et s’allonge. Ailleurs, dans la petite pièce xiv, Oh ! n’insultez jamais une femme qui tombe ! on lit :

Quand le vent du malheur ébranlait leur vertu.
Qui de nous n’a pas vu de ces femmes brisées
S’y cramponner longtemps de leurs mains épuisées.
Comme au bout d’une branche on voit étinceler
Une goutte de pluie où le ciel vient briller, etc.

En lisant cela, l’esprit n’a pas eu le temps de se détacher de ce mot si rude, cramponner, qu’il lui faut déjà passer à ce qu’il y a de plus fluide et mobile, à la goutte d’eau qui tremble au bout de la branche. Cette critique de détail, quoique depuis longtemps on ait