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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

mélodieux amant de Laure, deux mots criards qui rompent toute l’harmonie du ton :

Je prends ton livre saint qu’un feu céleste embrase.
Où si souvent murmure à côté de l’extase
La Résignation au sourire fatal.

Ce mot fatal est une note fausse ; c’est tout le contraire de fatal qu’il faudrait dire. Cette Résignation au sourire fatal n’est pas de la religion espérante et clémente de Pétrarque ; elle appartiendrait plutôt à la religion dure de Frollo. À quelques lignes plus bas, on voit les nobles et pudiques élégies de Pétrarque opposées aux bruits du monde et aux sombres orgies, comme si, dans des vers sur Pétrarque, le mot d’orgie pouvait trouver place. Ces deux mots malencontreux sont deux taches à la bordure d’une robe blanche et gracieuse. Un poëte, qui aurait senti tout à l’heure Anacréon dans la pureté grecque, n’aurait pas ici commis pareille faute.

Presque toutes les fautes de détail, qu’on peut reprocher à M. Hugo, viennent du même principe violent qui méconnaît le prix d’une convenance heureuse et d’une harmonie ménagée. Nous avons noté à regret les images suivantes : Napoléon qui va glanant tous les canons, une charte de plâtre qu’on oppose à des abus de granit, des écueils aux hanches énormes, Rome qui n’est plus que l’écaille de Rome, etc. Le poëte, par manque de ce tact que j’appellerai grec ou attique, et qui n’est pas moins français, ne recule jamais devant le choquant de l’expression, quand il doit en résulter quelque similitude matérielle plus rigoureuse qu’il