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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

ont dû se ranger à plus de précision, il ne faudrait jamais que cela devînt d’une rigueur mécanique appliquée aux choses de la pensée. L’autre endroit que je voudrais corriger est celui où l’auteur montre la cloche et l’âme chantant et sonnant à la voix du Seigneur, quelles que soient les souillures contractées ; le passage finit par ce vers :

Chante, l’amour au cœur et le blasphème au front.
J’aimerais mieux :
Chante, l’amour au cœur et la couronne au front ;
car, du moment que le chant part et s’élance, plus de blasphème ! on l’oublie, il disparaît. Pourquoi donc le désigner, en finissant, comme la chose qui subsiste au front et qui a l’air de défier Dieu ?

Mais, à part ces taches légères et faciles à enlever, cette pièce en son ensemble est tout un poëme qui unit (alliance si rare dans un certain mode lyrique !) le solennel et le vrai, le magnifique et le senti. Elle donne la meilleure et la plus profonde réponse à cette question souvent débattue : si les grands poètes qui nous émeuvent et rendent de tels sons au monde ont en partage ce qu’ils expriment ; si les grands talents ont quelque chose d’indépendant de la conviction et de la pratique morale ; si les œuvres ressemblent nécessairement à l’homme ; si Bernardin de Saint-Pierre était effectivement tendre et évangélique ; quelle était la moralité de Byron et de tant d’autres, etc., etc. ? Oui, à l’origine, au moment voisin de la fusion du métal, au