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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

rajeunis[1], mêlés à de fraîches importations latines[2], et encadrés dans des lignes d’une pureté grecque, au tour grandiose, mais correct et défini. Le vocabulaire de M. de Chateaubriand, dans ces Mémoires, comprend toute la langue française imaginable, et ne la dépasse guère que parfois en quelque demi-douzaine de petits mots[3] que je voudrais retrancher. Cet art d’écrire qui ne dédaigne rien, avide de toute fleur et de toute couleur assortie, remonte jusqu’au sein de Du Cange pour glaner un épi d’or oublié, ou ajouter un antique bluet à sa couronne.

Retiré le soir dans son donjon à part, le jeune homme, plein des légendes et du Génie du lieu, commençait à son tour une poétique incantation ; il évoquait sa Sylphide. Qu’était cette Sylphide ? C’était le composé de toutes les femmes qu’il avait entrevues ou rêvées, des héroïnes de l’histoire ou du roman, des châtelaines du temps de Galaor, et des Armides ; c’était l’idéal et l’allégorie de ses songes ; c’est quelquefois sans doute, le dirai-je ? un fantôme responsable, un nuage officieux, comme il s’en forme, dans les tendres moments, aux pieds des déesses. Il la suivait, cette Sylphide, par les prairies, sous les chênes du grand

  1. « Le couvent, au bord du chemin s’envieillissait d’un quinconce d’ormes du temps de Jean V de Bretagne ; » — « un des premiers plaisirs que j’aie goûtés, était de lutter contre les orages, de me jouer emmi les vagues qui se retiraient ; » — à l’orce d’une plaine ; des nuages qui projettent leur ombre fuitive, etc.
  2. Le vaste du ciel, les blandides des sens, etc.
  3. Les châteaux qui entombaient les aïeux, etc.