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VICTOR HUGO.


Puisque les choses que tu lies
Se détachent de tous côtés…

Cette dernière est, selon nous, d’une beauté de mélancolie, d’une profondeur rêveuse et d’une tendresse de cœur à laquelle n’avait pas atteint jusqu’ici le poëte. Pas un mot n’y choque, pas un son n’est en désaccord avec la note fondamentale. Tout y est funèbre sans désespoir, tout y est religieux sans faux emblème. D’ordinaire, le dessin de l’auteur, dans ses moindres pièces, est précis ; il dira, par exemple, à sa maîtresse au bord de la mer : « Vois-tu ceci » (grande description du golfe, du rivage), « c’est la terre ! Vois-tu ceci » (grande description des nuages, du couchant), « c’est le ciel ! Eh bien, ni le ciel ni la terre ensemble ne valent l’amour » (grande description de l’amour). Mais ici rien de tel, aucun canevas de cette sorte, aucune amplification. Le souffle harmonieux y sort comme une plainte vague, abondante ; la plainte monte à chaque stance comme une marée sans étoile sur quelque grève de Bretagne :

Quand la nuit n’est pas étoilée,
Viens te bercer aux flots des mers ;
Comme la mort elle est voilée,
Comme la vie ils sont amers.

L’impression que cause cette pièce me semble tout à fait musicale ; plus on la relit, plus on s’en pénètre. À la dixième fois, on la sent mieux encore, et les larmes involontaires qu’elle fait naître recommencent de couler.