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VICTOR HUGO.

le genre de l’ode, n’ont pas fait autrement, je le sais. L’ode, à proprement parler, depuis Pindare et à commencer par lui, n’a guère été jamais qu’un thème de circonstance, accepté plutôt que choisi, et plus ou moins richement exécuté. M. Ampère, dans une de ses ingénieuses et judicieuses leçons du Collége de France, remarquait qu’en France, chez les quatre principaux lyriques des trois derniers siècles, chez Ronsard, Malherbe, Jean-Baptiste Rousseau et Le Brun, il y avait une faculté de chant, ou du moins une faculté de sonner avec éclat de la trompette pindarique, indépendamment même d’une certaine nature de sensibilité, d’une certaine conviction habituelle et antérieure de l’âme. Un des Valois se marie, Richelieu foudroie La Rochelle, le prince Eugène gagne une bataille, le vaisseau le Vengeur s’abîme avec gloire, et voilà tous nos poëtes qui ont chanté. Il y a quelque chose d’évidemment extérieur dans cette faculté grandiose de l’ode. C’est bien exactement une trompette qu’on prend ou qu’on laisse. M. Hugo, dans une très-belle pièce, et même la plus belle du volume, compare l’âme du poëte à une cloche en son beffroi ; la cloche retentissante, et qui sonne pour chaque fête ou pour chaque deuil, a de la ressemblance encore avec cette faculté de l’ode ; tanquam æs tinniens ; je ne sais quoi de puissant et de magnifique, de creux et de sonore. Dans ses premières odes politiques, M. Hugo, plus qu’aucun des lyriques précédents, avait fait preuve d’une conviction naïve fondue au talent, d’une inspiration spontanée et sincère. Puis, ces premières croyances monarchiques