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VICTOR HUGO.

n’a jamais perdu l’habitude du rhythme lyrique auquel il dut ses premiers triomphes. Il est attentif à ne pas laisser passer vainement ces plaintes, ces allégresses, ces terreurs, qui sortent tour à tour d’une âme profonde, ces échos fréquents par lesquels elle répond aux grands événements du dehors. Il recueille au fur et à mesure dans une corbeille préparée les fruits intérieurs des saisons diverses, les récoltes des années successives ; il ne les laisse pas mourir sur pied, ni se dessécher à la branche. Après les Orientales, œuvre de maturité radieuse et de soleil, nées, pour ainsi dire, dans l’août de sa jeunesse, sont venues les Feuilles d’Automne, comme une production plus lente, mûrie plus à l’ombre et plus savoureuse aussi : les Chants du Crépuscule offrent maintenant une autre nuance. C’est, comme l’indique le titre, une heure déjà assombrie, le déclin des espérances, le doute qui gagne, l’ombre allongée qui descend sur le chemin, et avec cela, à travers les aspects funèbres, des douceurs particulières comme il en est à cette heure charmante ; la nuit qui s’avance, mais la nuit que la tristesse aime comme une sœur. À ces impressions, personnelles et intimes, le poëte a marié, par une analogie symbolique, l’état du siècle lui-même qui nage dans une espèce de crépuscule aussi, crépuscule qui n’est peut-être pas celui du soir comme pour l’individu, car l’humanité a plus d’une jeunesse. On voit d’abord combien le nouveau cadre peut devenir heureux, naturel, et conforme à la pente des ans et des choses. Pourtant un inconvénient est à craindre dans ces productions lyriques trop