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VICTOR HUGO.

de mal, qu’il n’eût pas d’abord aperçu dans de moindres exemples. Sa fièvre politique s’était calmée. Son Dernier Jour d’un Condamné proclama avec une saisissante éloquence, quoique d’un ton plus irrité peut-être qu’il n’eût convenu en matière de miséricorde, le respect pour la vie humaine, alors même qu’elle s’est souillée de sang. Il scruta beaucoup, il conversa, il controversa, il vécut. La maturité vint à son génie comme à son humeur, du moins une maturité relative ; dès lors le roman s’ouvrit véritablement pour lui, non pas le roman, sans doute, pris dans le milieu de l’expérience habituelle, dans le courant ordinaire des mœurs, des passions et des faiblesses, non pas le roman familier à la plupart, mais le sien, un peu fantastique toujours, anguleux, hautain, vertical pour ainsi dire, pittoresque sur tous les bords, et à la fois sagace, railleur, désabusé : Notre-Dame de Paris put naître.

Dans Notre-Dame l’idée première, vitale, l’inspiration génératrice de l’œuvre est sans contredit l’art, l’architecture, la cathédrale, l’amour de cette cathédrale et de son architecture. Le poëte a pris cette face ou, si l’on veut, cette façade de son sujet au sérieux, magnifiquement : il l’a décorée, illustrée avec une incomparable verve d’enthousiasme. Mais ailleurs, dans les alentours, et le monument excepté, c’est l’ironie qui joue, qui circule, qui déconcerte, qui raille et qui fouille, ou même qui hoche de la tête en regardant tout d’un air d’indifférence, si ce n’est vers le second volume où la fatalité s’accumule, écrase et foudroie ; en un mot, c’est Gringoire qui tient le dez de la mora-