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VICTOR HUGO.

et Ballades qui reluit de couleurs pareilles et nous rend en rhythmes merveilleux le même point de vue doublement tranché. Han d’Islande, depuis longtemps composé, avait paru antérieurement. Cet autre roman étrange, moins brillant, moins haut en couleur que le Bug-Jargal définitif, et plus analogue à la manière sobre et précise des premières odes dont il forme le lien avec les secondes, fut compris de travers à sa naissance, et on y chercha je ne sais quelle inspiration désordonnée, au lieu de le classer parmi les romans chevaleresques dont il remplissait à la rigueur toutes les conditions. L’héroïne, en effet, est captive ; elle est comtesse ; elle est enfermée dans une tour avec son vieux père, prisonnier d’État. Le héros, fils d’un ennemi mortel, fils d’un prince, garde le plus qu’il peut l’incognito ; pour sauver celle qu’il aime et le vieillard que des félons veulent perdre, il ne voit rien de mieux que d’aller par monts et par vaux attaquer dans son antre un monstre effroyable, et de lui ravir les preuves d’une machination odieuse, qui, retirées des mains où elles sont tombées, pourront démasquer les traîtres.

Han d’Islande est donc un roman idéal de la famille presque de ceux de la Table-Ronde, tels que les arrangeurs les rimaient au xiiie siècle. L’amour d’Éthel et d’Ordener, l’invincible union du noble couple, le dévouement fabuleux du héros, composent le fond essentiel, l’âme de l’action : le chapitre xxiie, qui est le point central et culminant du livre, ne nous montre pas autre chose ; on y trouve le canevas exactement