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VICTOR HUGO.

ami, à sa jeune épouse et à lui-même. Cette parole d’honneur à Biassou, qui se trouvait dans le premier récit, y choquait moins que dans le second, où elle se joint au refus opiniâtre de corriger les fautes de français de la proclamation. Sans être de l’école d’Escobar ou de Machiavel, on pourrait, je crois, qualifier ces scrupules de gloriole hors de saison et de préjugé formaliste : c’est un travers naïf de l’entière et puritaine bonne foi de la jeunesse. Les développements considérables que reçut Bug-Jargal sous sa dernière forme ont amené quelques défauts de proportion qui jurent avec l’encadrement primitif du récit, lequel, on ne doit pas l’oublier, se débite de vive voix, en cercle, à un bivouac. Les descriptions, les analyses de cœur, les conversations rapportées, les pièces diplomatiques citées au long, nous font plus d’une fois perdre de vue l’auditoire ; et quand le chien Rask remue la queue, ou que le sergent Thadée pousse une exclamation, on a besoin de quelques efforts pour se rappeler le lieu et les circonstances.

Mais ce qu’il y a de plus caractéristique dans les additions, et ce qui signale une notable intention chez l’auteur, c’est qu’à côté de Marie, c’est-à-dire de la grâce, de la beauté virginale et du bonheur vertueux de l’existence, presque parallèlement se révèle et grossit l’aspect haineux, contrefait, méchant, de la nature humaine, le mal personnifié dans le nain Habibrah, frère africain de Han d’Islande, de même que Marie est la sœur d’Éthel, de Pépita l’Espagnole et de la vive Esméralda. Marie et Habibrah, ce sont deux germes