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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

sopha, le store baissé, pour les lire. La seconde jeunesse me semble donc une saison très-convenable à ce genre de composition, animée qu’elle est et chaude encore, se teignant de teintes plus larges et plus changeantes au soleil de l’imagination à mesure qu’il décline au couchant, nourrie de souvenirs, se développant volontiers, reposée sans être appesantie, capable de tout comprendre. On a traversé les passions, et tout à l’heure on était humide de leur naufrage ; on sent déjà en plein, et souvent par soi-même, hélas ! ce que c’est chez l’homme que le vice, le ridicule et la manie ; la science et le goût sont formés ; on a de tolérance et de pitié ce qu’on en aura jamais ; on a presque inévitablement l’ironie avec un fond d’indifférence.

Dans une courte préface ajoutée à cette cinquième édition de Bug-Jargal, M. Hugo nous apprend qu’en 1818, à seize ans, il paria qu’il écrirait un roman en quinze jours, et que Bug-Jargal provint de cette gageure. En effet, au second volume du Conservateur littéraire, journal que le jeune écrivain, aidé de ses frères et de quelques amis, rédigeait dès 1819, on trouve, comme faisant partie d’un ouvrage inédit intitulé les Contes sous la Tente, la première édition de cette nouvelle que l’auteur ne publia qu’en 1825, remaniée et récrite presque en entier. C’est une étude piquante et profitable à faire que de rapprocher l’une de l’autre ces deux productions, dont le fond essentiel et la forme, restés les mêmes, ont subi pourtant bien des intercalations et des refontes, à six ans de distance, dans un âge où chaque année, pour le poëte,