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VICTOR HUGO.

un peu riante, ne lui vont pas ; même quand la catastrophe est au bout, ces lenteurs et ces circuits le fatiguent ; il les dévore. Quand son entretien solitaire, ses chants dans les bois, ses confidences d’ami à ami, sa misanthropie ou sa folle gaîté d’amant ne lui suffisent pas ; quand il veut sortir de lui-même, du pur lyrisme, du monologue ou du dithyrambe ; quand il a le don des combinaisons singulières, des nœuds de forte étreinte et des péripéties surprenantes, eh bien ! ce sera des drames encore qu’il fera et qu’il pourra entamer à ses risques et périls, plutôt que des romans. Le drame est plus court, plus concentré, plus fictif ; il est plus à la merci d’un seul événement, d’une seule idée ; l’exaltation en dispose aisément ; il peut se détacher, s’arracher davantage du fond de la vie commune. Je ne dis pas que ce drame, fait à dix-huit ans, sera le meilleur et le plus mûr ; mais c’est celui par lequel le jeune homme débute, c’est la première manière de Schiller. Quant au roman, encore une fois, où il n’offrira que l’analogue de cette espèce de drame, et sera de même héroïque, trempé de misanthropie, candide ou amer, tranché sans nuances, avec les inconvénients particuliers d’un développement plus continu ; ou bien il faudra l’ajourner jusqu’à une époque plus rassise, après la pratique des hommes et l’épreuve des choses. Le bel âge dans la vie pour écrire des romans, autant qu’il me semble, c’est l’âge de la seconde jeunesse ; ce qui répond, dans une journée d’été, à cette seconde matinée de deux à cinq heures qui est peut-être le plus doux temps à la campagne, sur un