Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/44

Cette page a été validée par deux contributeurs.
36
PORTRAITS CONTEMPORAINS.

se déploient et s’irritent en présence de cette mer naufrageuse, son idole, dit-il, et son image. Il est admirable surtout, quand, remontant le torrent qui se jette dans le port, jusqu’à un certain coude, et ne voyant plus rien qu’une vallée étroite et stérile, il tombe en rêverie ; et si le vent lui apporte alors le bruit du canon d’un vaisseau qui met à la voile, il tressaille et pleure. Mais par un de ces revirements inexplicables de la vie, au lieu de rester à Brest pour y attendre l’heure des longs voyages, il en part un matin subitement et arrive à Combourg.

Cette fois, nous sommes bien à Combourg pour y rêver à loisir. Le chevalier déclare qu’il renonce à la marine : on décide qu’il achèvera ses études à Dinan et qu’il embrassera l’état ecclésiastique ; mais Dinan est à quatre lieues de Combourg, et il revient perpétuellement à ce gîte austère et chéri jusqu’à ce qu’on s’accoutume à l’y laisser à demeure. Sa plus jeune et mélancolique sœur, reçue chanoinesse, reste aussi à la campagne, en attendant de passer d’un chapitre dans un autre.

Ici commence toute une vie de René autre que celle que nous connaissons, avec le même fonds pourtant d’inquiétude et de rêve ; un René plus réel et non moins idéal, aussi romanesque, aussi attachant sans catastrophe et sans le malheur d’Amélie. On sait tous les personnages du château, on sait jusqu’aux lieux où couchent les domestiques dans la grosse tour ou dans les souterrains. On voit çà et là, l’hiver, venir de rares hôtes à cheval avec le porte manteau en croupe ; ce