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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

recherche ou à la défense de certaines solutions religieuses, à ne plus faire assaut avec ce rocher toujours instable et retombant. Il laisse désormais flotter son âme, et reçoit, comme un bienfait pour la muse, tous les orages, toutes les ténèbres, et aussi tous les rayons, tous les parfums. Assis dans sa gloire au foyer domestique, croyant pour dernière et unique religion à la famille, à la paternité, il accepte les doutes et les angoisses inséparables d’un esprit ardent, comme on subit une loi de l’atmosphère ; il reste l’heureux et le sage dans ce qui l’entoure, avec des anxiétés mortelles aux extrémités de son génie ; c’est une plénitude entourée de vide. Quelle étrange vigueur d’âme cela suppose ! On trouverait quelque chose de semblable dans la sagesse du Roi hébreu. Le poëte n’espère plus, ni ne se révolte plus ; il a tout sondé, il a tout interrogé, depuis le cèdre jusqu’à l’hysope ; il recommence encore bien souvent, mais par irrésistible instinct et pur besoin de se mouvoir. Quand il marche, voyez-le, le cou penché, voyageur sans but, rêveur effaré, courbant son vaste front sous la voûte du monde :

Que faire et que penser ? Nier, douter ou croire ?
Carrefour ténébreux ! triple route ! nuit noire !
Le plus sage s’assied sous l’arbre du chemin.
Disant tout bas : J’irai, Seigneur, où tu m’envoies ;
Il espère ; et de loin, dans ces trois sombres voies.
Il écoute, pensif, marcher le genre humain !

Et pourtant il s’était écrié autrefois, dans les Actions de Grâces rendues au Dieu qui avait frappé d’abord, puis réjoui sa jeunesse :