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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

durant ces années continentes et fécondes, ce sont les ruses, les plans, les intelligences de cet amour merveilleux qui est tout un roman. Han d’Islande, qui le croirait ? Han d’Islande, commencé dès 1820, et qu’il ne publia par suite d’obstacles matériels qu’en 1823, devait être, à l’origine et dans la conception première, un tendre message d’amour destiné à tromper les argus, et à n’être intimement compris que d’une seule jeune fille. On se rappelle, en effet, les scènes délicieuses de cet ouvrage étrange, la pureté virginale d’Ordener, le baiser d’Éthel dans le long corridor ; le reste n’eût été qu’un fond noirci, un repoussoir pour faire ressortir le tableau, une ombre passagère et orageuse de désespoir. Durant ce même temps, Victor Hugo composait son premier volume d’Odes royalistes et religieuses. On sait comment son royalisme lui était venu : quant à la religion, elle lui était entrée dans le cœur par l’imagination et l’intelligence ; il y voyait avant tout la plus haute forme de la pensée humaine, la plus dominante des perspectives poétiques. Le genre de monde qu’il fréquentait alors, et qui l’accueillait avec toutes sortes de caresses, entretenait journellement l’espèce d’illusion qu’il se faisait à lui-même sur ses croyances ; mais le fond de sa doctrine politique était toujours l’indépendance personnelle, et le philosophisme positif de sa première éducation, quoique recouvert des symboles catholiques, persistait obscurément dessous. Aidé de ses frères et de quelques amis, il rédigeait dans ce temps un recueil périodique intitulé le Conservateur littéraire, dont la