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VICTOR HUGO.

avant le 15, et il aurait fallu que Victor eût expédié la sienne dès le lendemain matin pour qu’elle pût arriver à temps. La malade s’endormit sur ce regret, et, le lendemain, au réveil, elle trouva pour bonjour l’ode pieuse composée à son chevet, et le papier, mouillé de ses larmes de mère, partit dans la journée même.

En 1820, un troisième prix remporté pour Moïse sur le Nil valut à Victor le grade de maître ès Jeux floraux. Les années 1819 et 1820 furent sans doute les plus remplies, les plus laborieuses, les plus ardentes, les plus décisives de sa vie. Amour, politique, indépendance, chevalerie et religion, pauvreté et gloire, étude opiniâtre, lutte contre le sort en vertu d’une volonté de fer, tout en lui apparut et grandit à la fois à ce degré de hauteur qui constitue le génie. Tout s’embrasa, se tordit, se fondit intimement dans son être au feu vulcanien des passions, sous le soleil de canicule de la plus âpre jeunesse, et il en sortit cette nature d’un alliage mystérieux, où la lave bouillonne sous le granit, cette armure brûlante et solide, à la poignée éblouissante de perles, à la lame brune et sombre, vraie armure de géant trempée aux lacs volcaniques. Sa passion pour la jeune fille qu’il aimait avait fini par devenir trop claire aux deux familles, qui, répugnant à unir un couple de cet âge et sans fortune, s’entendirent pour ne plus se voir momentanément. Il a consacré cette douleur de l’absence dans une pièce intitulée Premier Soupir ; une tristesse douce et fière y est empreinte. Mais ce qu’il n’a pas dit et ce que je n’ai le droit ici que d’indiquer, c’est la fièvre de son cœur