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« — La révolution à laquelle nous assistons est sociale plus encore que politique ; l’acte de M. de Praslin y a contribué peut-être autant que les actes de M. Guizot.

« Lamartine l’a caractérisée énergiquement quand il a dit C’est la révolution du mépris. »

« — Lamartine appelait l’orage afin d’y briller héroïquement sous l’éclair. »

« — Lamartine, dans son ambition même, ne prévoyait pas ce qui est arrivé. Cette ambition, en tant qu’elle se proposait une forme un peu précise, se bornait sans doute à rêver un premier ministère à côté de la duchesse d’Orléans régente ; mais au moment décisif, avec cette divination de la pensée publique qu’ont les poètes et que n’eurent jamais les doctrinaires, il sentit que la duchesse d’Orléans devenait impossible, et il fut le premier à franchir le pas et à le faire franchir aux autres. »

« — L’ambition de Lamartine était vaste et flottante comme toutes les grandes ambitions. »

« — Lamartine, en 1829 et durant les premiers mois de 1830, sollicitait du prince de Polignac l’ambassade de Grèce, et je l’ai vu revenir enchanté de l’audience du prince. Il avait le dégoût de la presse et des discussions politiques. — Après Juillet 1830, il revint à Paris de la campagne où il était, et je le vois encore allant à une réunion de légitimistes qui se tenait chez M. Arthur de La Bourdonnaye. — Il fit peu après sa brochure de la Politique rationnelle dédiée à Cazalès, très-raisonnable et noble manifeste. — Puis il alla en Orient mettre une page blanche entre son passé et son avenir. — Il entra à la Chambre, et fut d’abord à peu près seul du parti social, s’exerçant à manier la parole. — Il devint conservateur en défendant le ministère Molé contre la coalition. — Peu après il eut l’idée un peu brusque d’être président de la Chambre, et, n’y ayant pas réussi, il reprit son vol et passa à gauche, et par delà la gauche. Depuis cinq ou six ans, il avait pris hautement position, n’attendant rien que de l’avenir et y poussant de toutes ses forces. Évidemment son grand talent cherchait une situation à sa hauteur et où il pût se déployer. Ç’a été là son mobile secret et instinctif, indépendamment des convictions. Le fleuve cherche son niveau, l’oiseau cherche sa région. »