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puissant dans son jet et dans sa source, c’est à lui de voir si, par ce cri d’alarme, nous signalons un naufrage ou si nous le prévenons. Dans tous les cas, en acceptant ce pénible rôle de noter les arrêts, les chutes et les déclins avant terme, de tant d’esprits que nous admirons, nous voulons qu’on sache bien qu’aucun sentiment en nous ne peut s’en applaudir. Hélas ! leur ruine (si ruine il y a) n’est-elle pas la nôtre, comme leur triomphe tant de fois prédit eût fait notre orgueil et notre joie ? La sagacité du critique se trouvait liée à leurs destinées de poëtes fidèles et d’écrivains révérés ; le meilleur de nos fonds était embarqué à bord de leurs renommées, et l’on se sent périr pour sa grande part dans leur naufrage.


Avril 1839.




J’ai peu à ajouter à ces articles au point de vue littéraire, et toute la gamme des sentiments du critique, depuis l’enthousiasme premier jusqu’au temps d’arrêt et à la résistance finale, vient d’être, ce me semble, parcourue et comme épuisée. (Joignez-y encore, si vous le voulez, ce que j’ai dit des Confidences et de Raphaël, au tome Ier des Causeries du Lundi, et l’article sur l’Histoire de la Restauration, au tome IV des mêmes Causeries.) — J’avoue mon faible et ma chimère : j’avais conçu pour tous ces grands hommes, ces grands esprits et talents de ma génération, ou de la génération immédiatement antérieure, un idéal de caractère et de carrière qu’ils n’ont pas rempli ou qu’ils ont vite dépassé et traversé d’outre en outre. J’aurais voulu, par exemple, un La Mennais devenu catholique et libéral, comme au lendemain de l’Avenir, mais ayant la force de demeurer tel sous le coup même