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vrés, mais sans plus d’harmonie entre eux, sans mélodie surtout. Ô Lac des premiers jours, cadre heureux, écho plaintif et modéré, chose amoureuse et close, qu’es-tu devenu ?

Oh ! encore une fois, quand on l’a, — quand on en a une, — qu’on garde chacun sa lyre !

Dans sa pièce à M. Guillemardet, M. de Lamartine va jusqu’à accuser la sienne, celle d’autrefois, à s’en excuser.


Ma personnalité remplissait la nature…
Pardonnez-nous, mon Dieu ! tout homme ainsi commence…


Puis, expliquant sa transformation et comment il est arrivé à perdre sa voix dans le grand chœur, il ajoute :

 
Alors, par la vertu, la pitié m’a fait homme ;…
Passé, présent, futur, ont frémi sur ma fibre…


et dans cette longue et pénible incarnation de l’humanité en lui, qu’il nous développe, il croit qu’il ne parle plus de lui, tandis que le je y revient sans cesse et s’y articule à chaque vers. N’admirez-vous pas l’illusion ? Le lyrique a beau faire ; il n’échappera pas à ses propres émotions ni à son âme ; c’est absolument comme dans la romance :


En songeant qu’il faut qu’on l’oublie,
On s’en souvient.


L’humanitarisme est devenu une préoccupation si chère au poëte, qu’il l’introduit partout, jusque dans le Toast porté au banquet des Gallois et des Bas-Bretons. Ce banquet est destiné précisément à fêter la vieille