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rait du haut de son char une poignée de louis au nez du pauvre, ou celle qui s’approche de lui, passe et repasse deux fois, le considère et lui met dans le fond de la main un louis, un seul louis d’or, qu’elle y renferme avec étreinte, le laissant immobile et pénétré ? — Ô pieux Virgile, ainsi tu faisais pour les vers !

Ne prenez pas Virgile au mot quand il vous parle, presque en rougissant, de son loisir sans honneur, ignobilis otî ; ou c’est qu’en latin le mot n’a pas ce sens-là. Passe pour Malherbe (qui lui-même ne le disait que par coquetterie) de se comparer, poëte, au joueur de quilles. Pascal pensait qu’un bon poëte n’est pas plus nécessaire à l’État qu’un bon brodeur : il venait de lire un sonnet de Voiture. Mais qui donc plus que Virgile a été consolant au monde ? et M. de Lamartine est de la race de Virgile ; il lui appartenait, et il l’a prouvé, de compter parmi les grands, les immortels bienfaiteurs.

J’ai dit que ce volume n’était pas dépourvu de hautes beautés. La nouvelle conclusion de Jocelyn, qui nous est donnée par manière de variante, a une ampleur et une sublimité merveilleuses : elle s’accorde dignement avec le souvenir de cet aimable poëme. On a eu raison de louer le Cantique sur la mort de madame de Broglie ; j’y remarque pourtant des longueurs qui nuisent à l’effet, quelques mots discordants, et surtout un manque de décision dans le sentiment religieux avec lequel il eût fallu aborder cette admirable personne, d’une foi si précise, et dont l’âme présente doit, ce semble, moins que jamais souffrir rien d’évasif à ce su-