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et l’écart de ce talent qui appellent une sorte de répression. Dès qu’on n’est plus inspiré par un sentiment souverain, impétueux, unique, qui décide et apporte avec lui l’expression ; dès qu’on flotte entre plusieurs sentiments, et qu’on peut choisir ; qu’on en est à redire les choses profondes, à exhaler le superflu des émotions nouvelles, il faut que le travail, l’art, ou, pour exiger le moins possible, un certain soin quelconque aide à l’exécution, et y ajoute, y retranche à l’extérieur par le goût ce que l’âme, tout directement et du premier coup, n’a pas imprimé. Or, M. de Lamartine fait craindre à ses admirateurs d’avoir de moins en moins du loisir pour ce soin, même le plus rapide, qui n’est que la toilette du matin de la pensée ; il s’en excuse, il s’y résigne plus vite que nous. Il s’ensuivrait formellement que la critique n’aurait plus rien désormais à faire avec lui ; c’est une manière complète de la récuser, de la déjouer. On avait déjà remarqué qu’un autre grand poëte[1] l’enfermait, la pauvre critique, dans un cercle étroit, inflexible, et la sommait d’y demeurer ou d’y venir, avec menace autrement de la rejeter. M. de Lamartine, par un procédé tout inverse, à force de lui donner raison d’avance et de lui faire beau jeu, lui ôte également toute prise et l’annule. L’autre l’écrasait ; lui, il se dérobe : cela ne saurait se passer ainsi.

Une des plus jolies pièces du volume, l’épître à M. Adolphe Dumas, reprenant les idées de la préface, les redouble agréablement, et tend à consacrer tout à

  1. M. Victor Hugo.