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Je ne puis rendre aux lieux de visite nouvelle.
— Regret ! — Passé léger, m’allez-vous être un poids ?…

Mieux vaut remercier une ancienne journée
Pour la joie au soleil librement couronnée,
Que d’aigrir son désir contre un présent jaloux.

Le Sommeil t’a donné son pouvoir sur les songes,
Mémoire ; tu les fais vivants et les prolonges :
Ce que tu sais aimer est-il donc loin de nous ?


Lamartine réfléchit volontiers les objets en sa poésie, comme une belle eau de lac, parfois ébranlée à la surface, réfléchit les hautes cimes du rivage ; Wordsworth est plus difficile à suivre à travers les divers miroirs par lesquels il nous donne à regarder sa pensée. Aussi l’un est populaire, relativement à l’autre qui a eu peine à se faire accepter, à se faire lire. Jocelyn, parlant aux enfants du village ou à ses paysans, trouve de faciles et saisissables paraboles ; le poëte de Rydal-Mount a plutôt le don des symboles : voilà en deux mots la différence. Dans son dernier recueil, Wordsworth, comme Lamartine, se montre accessible aux progrès futurs de l’humanité ; et, à son âge, et poëte comme il l’est de la poésie des bois, des lacs, de la poésie volontiers solitaire, son mérite d’acceptation est grand. Il a fait un majestueux sonnet à propos des paquebots à vapeur, canaux et chemins de fer, tous ces Mouvements et ces Moyens, comme il les appelle, qui, en tachant passagèrement les grâces aimables de la Nature, sont pourtant avoués d’elle, et reconnus sous leur fumée comme des enfants légitimes, gages de l’art et de la pensée de l’Homme ; et le Temps, le Temps