Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/347

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

femme qu’il appelle notre sœur, il écoute le rossignol et le proclame le plus gai chanteur, et raconte comme quoi il sait, près d’un château inhabité, un bosquet sauvage tout peuplé de rossignols chantant à volée, en chœur, et entrevus dans le feuillage sous la lune, au milieu des vers luisants : Oh ! quand son enfant sera d’âge, nous dit-il en finissant, son cher petit, bégayant encore, et qui sait déjà reconnaître l’étoile du soir, comme il le réjouira avec de tels sons ! comme il l’habituera à associer l’idée de joie à l’image de la nuit, comme il veut lui donner en toutes choses, pour compagne de jeux, la nature ! On voit, par ces traits imparfaits, quelles doivent être chez Coleridge la curiosité brillante, l’étincelle perpétuelle du détail, et en même temps l’élévation et la spiritualité des sentiments. Il y a en lui une irrésistible sympathie par tous les points avec la Vie universelle, et il cherche ensuite à réprimer cette expansion, à la ramener dans un ordre régulier de foi ; il y a en lui, si je l’ose dire, du bouddhiste qui tâche d’être méthodiste. Cette lutte et ce contraste ont un grand charme ; et le petit nombre de Poëmes méditatifs dont je parle n’ont pas été assez distingués et loués comme des exemples excellents, selon moi, d’un genre si précieux de poésie. Dans le Jocelyn de Lamartine, l’admirable apostrophe :


Ô mon chien ! Dieu seul sait la distance entre nous,
Seul il sait quel degré de l’échelle de l’être
Sépare ton instinct de l’âme de ton maître, etc.,


rentre, à quelques égards, dans l’universalisme idéa-