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toujours quelque ouverture de ciel se fait sur un point, par où il monte à l’instant et plane ; et alors, à ces hauteurs, le vaste paysage ondoyant recommence. La nature prise à vol d’oiseau est surtout familière à Lamartine et à Jocelyn ; après qu’il a discerné quelque temps de son œil perçant et doux les détails qui sont à ses pieds, les bœufs qu’on attelle, les rejets de frêne qu’on leur effeuille, les rameaux ombrageux qu’on leur plante sur la tête, et les mouches que les enfants chassent à leurs flancs, le voilà, en un clin d’œil, qui revole à l’autre bout de l’horizon, ou qui repart sur une nuée. C’est en cela que son paysage, jusque dans ses acquisitions nouvelles, diffère toujours de ces paysages plus exactement clos, et comme entre deux haies, de Grunau, d’Auburn, et de certaines peintures des rives de l’Yarrow en Écosse, du Skorf en Bretagne, dans lesquelles les perspectives du ciel elles-mêmes nous apparaissent plus encadrées. S’il y perd quelque chose en confection, en fini, il y gagne en aisance, en largeur d’ensemble, et le petit détail, même quand il s’y livre, n’a jamais chez lui le prenez-y garde de la miniature.

Wordsworth et Coleridge, deux grands poëtes pittoresques et méditatifs, n’y ont pas échappé : il y a chez eux de la miniature, qui s’associe pourtant avec une très-haute élévation. Ce serait une assez neuve et utile manière de caractériser Lamartine, et de renouveler l’étude tant de fois faite de sa poésie, que de le comparer d’un peu près avec ces deux grands lakistes, qu’il connaît fort légèrement sans doute, et desquels il se rapproche et diffère par de frappants endroits. Coleridge,