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beau, il étonne, il éblouit son ami ; il éclaire la grotte d’alentour ; c’est bien pour le jeune lévite, en effet, comme l’ange des proses d’Alléluia : In albis sedens Angelus. Le plus sublime moment de la situation, après l’hymne exhalé vers l’idéale et chaste beauté, vers la beauté sans sexe encore, est cette vaste éclosion du printemps qui éclate, en quelque sorte, un matin, dans la haute vallée : du sein de cette nature soudainement attiédie et ruisselante, s’élève le chant en chœur des deux enfants qui s’ignorent l’un l’autre et qui se regardent avec larmes. On trouverait dans les printemps de Finlande et de Russie, touchés par Bernardin de Saint-Pierre, dans ceux du nord de l’Amérique décrits par M. de Chateaubriand, des traits heureux de comparaison avec ce printemps de la vallée des Aigles[1]. Si l’on a deviné que Laurence, l’angélique enfant, n’est qu’une femme, on sera reporté aussi à des scènes du pèlerinage de Paul et Virginie dans la Montagne-Noire. Toute cette partie du poème de M. de Lamartine, depuis l’entrée de Laurence dans la vallée, est véritablement une grande idylle, à prendre le sens exact du

  1. Il ne faudrait pas oublier, dans la comparaison de ces printemps, de commencer par celui du second livre des Géorgiques : Vere tument terrœ. — M’est-il permis d’ajouter, comme réserve, que les personnes habituées à la vie des montagnes trouvent quelques impossibilités dans la nature alpestre, telle qu’elle est peinte en cette portion de Jocelyn ? On peut voir une note du Canton de Vaud par M. Juste Olivier (Lausanne), tome Ier, page 513. En général, ces personnes trouvent le paysage des hautes vallées autrement sévère, sobre et précis, que notre poëte ne l’a créé dans sa magnifique idylle luxuriante.