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à ces mouvements d’un si noble esprit. Désormais, on le voit, ce n’est plus par le côté des perspectives, ni par aucune restriction de coup d’œil, qu’elle aurait chance de manquer. Le mot même, si illimité, d’épopée humanitaire, a été prononcé dans sa préface récente par le poëte. C’est à lui, doué plus qu’aucun du don divin, de savoir et de vouloir enclore dans la forme durable ces grandes idées dégagées, de faire qu’elles vivent aux yeux, et qu’elles se terminent par des contours, et qu’elles se composent dans des ensembles qu’avoue l’éternelle Beauté. Mais tenons-nous-en au gage le plus sûr, tenons-nous à ce que nous possédons.

On n’a à s’inquiéter en rien de la manière dont Jocelyn se rattache, comme épisode, au grand poëme annoncé. Le prologue et l’épilogue font une bordure qui découpe l’épisode dans le tout, et nous l’offre en tableau complet ; c’est comme tel que nous le jugerons. — Jocelyn est un enfant des champs et du hameau ; malgré ce nom breton de rare et fine race, je ne le crois pas né en Bretagne ; il serait plutôt de Touraine, de quelqu’un de ces jolis hameaux voisins de la Loire, dans lesquels Goldsmith nous dit qu’il a fait danser bien des fois l’innocente jeunesse au son de sa flûte, et qui ont dû lui fournir plusieurs traits dont il a peint son délicieux Auburn. Jocelyn a seize ans au 1er mai 1786, et il se met depuis lors à se raconter à lui-même en chants naïfs ses pensées adolescentes. Il est allé à la danse du village, il y a vu Anne, Blanche, Lucie, toutes à la fois, toutes à l’envi si belles. Il rêve donc son rêve de seize ans, vaguement ému, le long de la charmille du