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ombrages des cimes. Il est permis, en parlant d’un tel homme, de s’attacher à l’esprit des temps plutôt qu’aux détails vulgaires qui, chez d’autres, pourraient être caractéristiques. Tout lyrique qu’il est, il a peu de retours, peu de ces regards profonds en arrière qui décèlent toujours une certaine lassitude et le vide du moment. Il décore çà et là quelques endroits de son passé ; il rallume de loin en loin, au soir, ses feux mourants sur quelque colline, puis les abandonne ; l’espérance et l’avenir l’appellent incessamment ; il se dit :


Mais loin de moi ces temps ! que l’oubli les dévore !
Ce qui n’est plus pour l’homme a-t-il jamais été ?


À l’ami qui l’interroge avec une curieuse tendresse, il répond :


Et tu veux aujourd’hui qu’ouvrant mon cœur au tien,
Je renoue en ces vers notre intime entretien ;
Tu demandes de moi les haltes de ma vie ?
Le compte de mes jours ?… Ces jours, je les oublie ;
Comme le voyageur quand il a dénoué
Sa ceinture de cuir, etc.


À une distance plus rapprochée des premières Méditations, il pouvait sembler du moins que l’image d’Elvire dominait sa vie, qu’elle en était l’accident essentiel, la romanesque et poétique inspiration, et qu’à mesure qu’il s’éloignerait d’elle tout en lui pâlirait. Le public qui aime assez les belles choses, à condition qu’elles passeront vite, se l’était si fort imaginé ainsi, que, durant plusieurs années, à chaque nouvelle publication de Lamartine, c’était un murmure peu flatteur où