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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

La Révolution frappa sa famille comme toutes celles qui tenaient à l’ordre ancien par leur naissance et leurs opinions : les plus reculés souvenirs de Lamartine le reportent à la maison d’arrêt où on le menait visiter son père. Au sortir de la Terreur, et pour traverser les années encore difficiles qui suivirent, ses parents vécurent confinés dans cette terre obscure de Milly, que le poëte a si pieusement illustrée, comme M. de Chateaubriand a fait pour Combourg, comme Victor Hugo pour les Feuillantines. Il passa là, avec ses sœurs, une longue et innocente enfance, libre, rustique, errant à la manière du ménestrel de Beattie, formé pourtant à l’excellence morale et à cette perfection de cœur qui le caractérise, par les soins d’une admirable mère[1],

  1. « Ma mère avait reçu de sa mère au lit de mort une belle Bible de Royaumont, dans laquelle elle m’apprenait à lire quand j’étais petit enfant. Elle était douée par la nature d’une âme aussi pieuse que tendre, et de l’imagination la plus sensible et la plus colorée : toutes ses pensées étaient sentiments, tous ses sentiments étaient images. Sa belle et noble et suave figure réfléchissait dans sa physionomie rayonnante tout ce qui brûlait dans son cœur, tout ce qui se peignait dans sa pensée, et le son argentin, affectueux, solennel et passionné de sa voix ajoutait à tout ce qu’elle disait un accent de force, de charme et d’amour qui retentit encore en ce moment dans mon oreille, hélas ! après six ans de silence ! etc. » (Voyage en Orient.) Et ailleurs : « Ma mère m’avait fait chrétien, j’avais quelquefois cessé de l’être dans les jours les moins bons et les moins purs de ma première jeunesse. Le malheur et l’amour, l’amour complet qui purifie tout ce qu’il brûle, m’avait également repoussé plus tard dans ce premier asile de mes pensées. » Et encore : « Les versets, les lambeaux de psaumes que j’ai si souvent entendu murmurer à voix basse à ma mère en se promenant le soir dans l’allée du jardin de Milly, me reviennent en mémoire. » — Toute cette