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mode d’inspiration antique, et dont le style était déjà né de lui-même à la source de ses pensées. J’oserai affirmer, sans crainte de démenti, que, si les poésies fugitives de Ducis sont tombées aux mains de Lamartine, elles l’ont plus ému dans leur douce cordialité et plus animé à produire, que ne l’eussent fait les poésies d’André, quand elles auraient paru dix ans plus tôt. Il ne goûte, il ne vénère que depuis assez peu d’années Pétrarque, le grand élégiaque chrétien, et son plus illustre ancêtre. Saint-Martin, que j’ai nommé, n’aura jamais été probablement de sa bien étroite connaissance. Lamartine n’est pas un homme qui élabore et qui cherche ; il ramasse, il sème, il moissonne sur sa route ; il passe à côté, il néglige ou laisse tomber de ses mains ; sa ressource surabondante est en lui ; il ne veut que ce qui lui demeure facile et toujours présent. Simple et immense, paisiblement irrésistible, il lui a été donné d’unir la profusion des peintures naturelles, l’esprit d’élévation des spiritualistes fervents, et l’ensemble des vérités en dépôt au fond des moindres cœurs. C’est une sensibilité reposée, méditative, avec le goût des mouvements et des spectacles de la vie, le génie de la solitude avec l’amour des hommes, une ravissante volupté sous les dogmes de la morale universelle. Sa plus haute poésie traduit toujours le plus familier christianisme et s’interprète à son tour par lui. Son âme est comme l’idéal accompli de la généralité des âmes que l’ironie n’a pas desséchées, que la nouveauté n’enivre pas immodérément, que les agitations mondaines laissent encore délicates et libres. Et