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cessibles d’ailleurs aux belles et bonnes paroles, et dignes de consolation. Il faut, en effet, pour arriver à elles, pour prétendre à les ravir et à être nommé d’elles leur bienfaiteur, joindre à un fonds aussi précieux, aussi excellent que celui de l’Homme de Désir, une expression peinte aux yeux sans énigme, la forme à la fois intelligente et enchanteresse, la beauté rayonnante, idéale, mais suffisamment humaine, l’image simple et parlante comme l’employaient Virgile et Fénelon, de ces images dont la nature est semée, et qui répondent à nos secrètes empreintes ; il faut être un homme du milieu de ce monde, avoir peut-être moins purement vécu que le théosophe, sans que pourtant le sentiment du Saint se soit jamais affaibli au cœur ; il faut enfin croire en soi et oser, ne pas être humble de l’humilité contrite des solitaires, et aimer un peu la gloire comme l’aimaient ces poëtes chrétiens qu’on couronnait au Capitole.

Rousseau, disions-nous, avait eu de grandes parties d’inspiration ; il avait prêté un admirable langage à une foule de mouvements obscurs de l’âme et d’harmonies éparses dans la nature. La misanthropie et l’orgueil qui venaient à la traverse, les perpétuelles discussions qui entrecoupent ses rêveries, le recours aux hypothèses hasardées, et, pour parler juste, un génie politique et logique, qui ne se pouvait contraindre, firent de lui autre chose qu’un poëte qui charme, inonde et apaise. Et puis c’était de la prose ; or, la prose, si belle, si grave, si rhythmique qu’on la fasse (et quelle prose que celle de Jean-Jacques !), n’est