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ses tragédies bibliques, dans le trop petit nombre de ses hymnes imités de saint Paul et d’ailleurs, avait laissé échapper d’adorables accents, empreints de signes profonds sous leur mélodieuse faiblesse. En essayant de les continuer, d’en faire entendre de semblables, non point parce qu’il sentait de même, mais parce qu’il visait à un genre littéraire, Jean-Baptiste égarait toute spiritualité dans les échos de ses rimes sonores : Racine fils, bien débile sans doute, était plus voisin de son noble père, plus vraiment touché d’un des pâles rayons. Mais où trouver l’âme sacrée qui chante ? Fénelon n’avait pas de successeur pour la tendresse insinuante et fleurie, pas plus que Malebranche pour l’ordre majestueux et lucide. En même temps que l’esprit grave, mélancolique, de Vauvenargues, retardé par le scepticisme, s’éteint avant d’avoir pu s’appliquer à la philosophie religieuse où il aspire, des natures sensibles, délicates, fragiles et repentantes, comme mademoiselle Aïssé, l’abbé Prévost, Gresset, se font entrevoir et se trahissent par de vagues plaintes ; mais une voix expressive manque à leurs émotions ; leur monde intérieur ne se figure ni ne se module en aucun endroit. Plus tard, Diderot et Rousseau, puissances incohérentes, eurent en eux de grandes et belles parties d’inspiration ; ils ouvrent des jours magnifiques sur la nature extérieure et sur l’âme ; mais ils se plaisent aussi à déchaîner les ténèbres. C’est une pâture mêlée et qui n’est pas saine que la leur. La raison s’y gonfle, le cœur s’y dérange, et ils n’indiquent aucune guérison. Ils n’ont rien de soumis ni de constamment simple :