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un vrai charme de récit, et, sauf le deuil de la foi perdue, auquel peu de lecteurs seront sensibles, bien des richesses d’une grande âme restée naïve, La gaieté elle-même n’en est pas absente : je n’en veux pour preuve que cette page légère où se jouent toutes les grâces d’ironie d’une plume laïque et mondaine. Les voyageurs, las d’attendre l’Encyclique qui ne devait les joindre qu’en route, quittèrent Rome en frétant un voiturin : « Cette manière de voyager, lorsque rien ne vous presse, dit l’auteur, est la plus agréable que puissent choisir ceux qui doivent rechercher une stricte économie. On séjourne, on voit mieux le pays que dans les voitures publiques. Notre bon Pasquale, toujours d’humeur égale, abrégeait nos longues heures de marche par sa conversation spirituellement naïve. Représentez-vous une large figure pleine et ronde, empreinte d’un singulier mélange de simplicité et de finesse malicieuse, voilà Pasquale. Il fallait l’entendre raconter comment, retenu au lit pendant quarante jours par une jambe cassée, il revint à Rome juste à temps pour ne pas trouver sa femme remariée : ce n’est pas que sa douleur eût été inconsolable, si le second mariage avait rompu le premier ; car, libre alors, peut-être serait-il devenu cardinal, peut-être pape, qui sait ? on avait vu des choses plus extraordinaires. Pourquoi pas lui autant qu’un autre ? Ne valait-il pas bien celui-ci, celui-là ? Un peu de bonheur, un peu de faveur, on arrive à tout avec cela. Et quelle douce vie pour Pasquale ! que de loisir, que de repos ! que de far niente ! Je