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rien enchaîner, de rien méditer, suffirait seule pour affaiblir et, à la longue, pour détruire entièrement la raison humaine. » Et en tête du livre de la Religion considérée dans ses rapports, etc. (1826) : « On ne lit plus aujourd’hui les longs ouvrages ; ils fatiguent, ils ennuient ; l’esprit humain est las de lui-même, et le loisir manque aussi… Dans le mouvement rapide qui emporte le monde, on n’écoute qu’en marchant… » On peut observer en règle générale que, de même que les livres de M. de La Mennais commencent tous par une parole empressée sur la vitesse des choses et la hâte qu’il faut y mettre, ils finissent tous également par une espèce de prophétie absolue. Cette pensée ardente ne mesure pas le temps à la manière des autres hommes ; elle a son rhythme presque fébrile : l’horloge intérieure, qui dans cette tête n’obéit qu’à la mécanique rationnelle, n’est pas d’accord avec l’horloge extérieure du monde, qui, bien qu’il aille vite, a pourtant ses frottements et ses retards. De là nombre de mécomptes et beaucoup de rendez-vous solennels assignés en vain à la société et au genre humain dans chaque conclusion : la société, qui n’avait pas la même heure à son cadran, a fait défaut et n’est pas venue.

Le récit que M. de La Mennais donne de son voyage à Rome se rapporte à l’année 1832 ; mais la rédaction en est bien postérieure et toute récente. Dès les premières pages, le désaccord du but d’alors avec le ton d’aujourd’hui nous a frappé. La vive et séduisante relation que fait l’auteur à partir de la descente du Rhône sent plutôt le poëte amoureux de la nature et des mo-