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aussi avait des vertus ; il se perdit néanmoins parce qu’il manqua de la plus nécessaire de toutes, d’humilité. Je cite de préférence Tertullien parce qu’il y a de singuliers rapports entre lui et l’oracle du Jansénisme, M. Arnauld : tous deux d’un caractère ardent, présomptueux, opiniâtre, tous deux pleins de génie, tous deux ayant rendu à la religion d’éminents services, ils se laissèrent entraîner (qui le croirait dans de si grands hommes ?) à la fougue d’une imagination qui outrait tout[1]… » Mais au pis, et malgré l’inconséquence reprochable, et malgré le danger de la pente rapide, ce rôle d’un Arnauld, d’un Savonarole, offrait encore de grandes parties continues et en harmonie avec cette nature invincible de prêtre : il y avait la foi.

Chose singulière et à jamais digne de méditation pour ceux qui en ont été témoins ! tandis que M. de La Mennais luttait ainsi et se croyait sûr et ne doutait pas, il dériva sans s’en apercevoir d’abord, et ne se tint plus. Y eut-il pour lui un moment où le vase sacré se brisa dans ses mains, et où la divinité de ce qu’il avait cru s’évanouit avec fracas comme dans un orage ? Y eut-il déclin et descente insensible jusqu’au bout, comme pour ces villages au penchant des montagnes, qui glissent peu à peu du rocher sans secousse, avec leur fonds de terrain tout entier, et se réveillent un matin dans la plaine ? Lui seul pourrait nous le dire, si sa mémoire parlait. Ce qu’il faut reconnaître,

  1. Réflexions sur l’État de l’Église.