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vous ordonne, » ils répondaient : « Nous ne pensons point, nous obéissons. »

« Et quand on leur disait : « N’y a-t-il plus en vous aucun amour pour vos pères, vos mères, vos frères et vos sœurs ? » ils répondaient : « Nous n’aimons point, nous obéissons. »

« Et quand on leur montrait les autels du Dieu qui a créé l’homme et du Christ qui l’a sauvé, ils s’écriaient : « Ce sont là les dieux de la patrie ; nos dieux à nous sont les dieux de ses maîtres, la Fidélité et l’Honneur. »

« Je vous le dis en vérité, depuis la séduction de la première femme par le serpent, il n’y a point eu de séduction plus effrayante que celle-là.

« Mais elle touche à sa fin. Lorsque l’esprit mauvais fascine des âmes droites, ce n’est que pour un temps. Elles passent comme à travers un rêve affreux, et au réveil elles bénissent Dieu qui les a délivrées de ce tourment. »

Et suit alors l’hymne de départ du jeune soldat de l’avenir, du soldat qui s’en ira combattre une dernière fois pour la justice, pour la cause du genre humain, pour l’affranchissement de ses frères : « Que tes armes soient bénies, jeune soldat ! » Il y a dans ce chant, et dans celui de l’Exilé qui vient après, un retentissement profond des Pèlerins polonais, par le poëte Mickiewicz[1] ; mais ce qui, chez Mickiewicz, était de-

  1. C’est de ce livre des Pèlerins, si remarquablement traduit par M. de Montalembert, qu’est empruntée la forme rhythmique des Paroles d’un Croyant.