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tout la grande déception de l’obéissance passive. Dans ces pages, écrites il y a plus d’un an, on retrouve à chaque ligne l’événement sanglant d’hier[1]. Satan dit aux princes :

« Voici ce qu’il faut faire. Prenez dans chaque famille les jeunes gens les plus robustes et donnez-leur des armes, et exercez-les à les manier, et ils combattront pour vous contre leurs pères et leurs frères ; car je leur persuaderai que c’est une action glorieuse.

« Je leur ferai deux idoles, qui s’appelleront Honneur et Fidélité, et une loi qui s’appellera Obéissance passive.

Et ils adoreront ces idoles, et ils se soumettront à cette loi aveuglément, parce que je séduirai leur esprit, et vous n’aurez plus rien à craindre.

« Et les oppresseurs des nations firent ce que Satan leur avait dit, et Satan aussi accomplit ce qu’il avait promis aux oppresseurs des nations.

« Et l’on vit les enfants du peuple lever le bras contre le peuple, égorger leurs frères, enchaîner leurs pères, et oublier jusqu’aux entrailles qui les avaient portés.

« Quand on leur disait : « Au nom de tout ce qui est sacré, pensez à l’injustice, à l’atrocité de ce qu’on

  1. Les insurrections d’avril 1834, à Lyon et à Paris. — Les années n’ont pas modifié mon sentiment. Le régime de Louis-Philippe, dès l’origine, tendit à faire avorter un élément puissant et généreux qui avait fait explosion en juillet 1830, et qui, ne trouvant pas satisfaction le lendemain dans une grande politique nationale extérieure, mais refoulé au contraire, brusquement répercuté et rentré, eut forcément son éruption par des émeutes.