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l’ont imaginé Horace et Montaigne, ou encore le vague des passions indéfinies, ou l’entretien mélancolique des souvenirs. Il y eut un temps de sa vie où il chérissait la rêverie et la fuite du monde, au point de sauter par-dessus un mur à la campagne pour ne pas rencontrer un domestique de la maison qui venait par le sentier ordinaire. Mais l’action lui parut un devoir, il se l’imposa, et il attribue à l’effort violent qu’elle exige de lui l’espèce d’irritation, d’emportement involontaire, qu’on a remarqué en plusieurs endroits de ses ouvrages, et qu’il est le premier à reconnaître avec candeur. Pour plus de garantie contre le relâchement et par une sorte de sainte inquiétude, il s’est voué à un exercice infatigable dans la rude voie où la Grâce l’a glorifié ; c’est un trappiste de l’intelligence : l’application opiniâtre de la pensée catholique aux diverses portions du domaine scientifique et social, tel est le champ qu’il laboure chaque matin dès avant l’aurore. Ainsi les inclinations flatteuses et les langueurs si chères s’en sont allées dans un perpétuel sacrifice. Il reste pourtant des saisons et des heures où revient sur les cœurs mortels un souffle inexprimable du passé qui fait crier les cicatrices et menace de les rompre. Nulle ressource, même pour le fort, n’est de trop en de tels moments ; ce qu’il y a de plus haut et ce qu’il y a de plus humble : composer la Théodicée et lire son bréviaire. — M. de La Mennais n’a rien écrit en fait de pure imagination ou de poésie que de petits fragments, des espèces d’Hymnes ou de Proses, qui sommeillent dans ses papiers. L’un de ces morceaux est, je crois, sur la