Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/234

Cette page a été validée par deux contributeurs.

phie religieuse qui n’est pas fini, mais qui promet d’embrasser par une méthode toute rationnelle l’ordre entier des connaissances humaines, à partir de la plus simple notion de l’être : le but dernier de l’auteur, dans cette conception encyclopédique, est de rejoindre d’aussi près que possible les vérités primordiales d’ailleurs imposées, et de prouver à l’orgueilleuse raison elle-même qu’en poussant avec ses seules ressources elle n’a rien de mieux à faire que d’y aboutir. La logique la plus exacte, jointe à un fond d’orthodoxie rigoureuse, s’y fraye une place entre Saint-Martin et Baader. Nous avons été assez favorisé pour entendre, durant plusieurs jours de suite, les premiers développements de cette forte recherche : ce n’était pas à La Chênaie, mais plus récemment à Juilly, dans une de ces anciennes chambres d’oratoriens où bien des hôtes s’étaient assis sans doute depuis Malebranche jusqu’à Fouché : je ne me souvenais que de Malebranche. Pendant que lisait l’auteur, bien souvent distrait des paroles, n’écoutant que sa voix, occupé à son accent insolite et à sa face qui s’éclairait du dedans, j’ai subi sur l’intimité de son être des révélations d’âme à âme qui m’ont fait voir clair en une bien pure essence. Si quelques enchaînements du livre m’ont ainsi échappé, j’y ai gagné d’emporter avec moi le plus vif de l’homme[1].

  1. Un des traits les plus remarquables de l’esprit de M. de La Mennais, et ce qui en fait véritablement un aigle d’intelligence (quoique cet aigle eût besoin quelquefois de son saint Jean pour le ramener et le conduire), c’est la faculté qu’il a, à tout instant,