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CHATEAUBRIAND.

pas abandonné encore ; elle est, chez lui, restée irrésistible et entière comme son génie. Elle ne l’a pas trompé particulièrement dans sa relation de guerre et de dégoût contre un état de choses venu le dernier et déjà le plus attiédissant. Nous n’entendons pas ici précisément parler des deux brochures politiques de M. de Chateaubriand : nous en serions fort mauvais juge, incapable que nous nous trouvons, par suite d’habitudes anciennes et de convictions démocratiques, d’entrer dans la fiction des races consacrées et des dynasties de droit. Nous serions même fort tenté de croire que l’illustre écrivain n’a lancé ces manifestes que par engagement de position, par sentiment de point d’honneur, et comme on irait galamment sur le pré pour une cause à laquelle on se dévoue plutôt qu’on n’y croit. Mais ce que nous aimons sans réserve dans l’attitude actuelle de M. de Chateaubriand, ce qui nous le montre bien d’accord avec lui-même, avec son tempérament de loyauté et de liberté, c’est son irrémédiable dégoût de tout régime peureux, ou du moins étayé sur la peur, sans noblesse, qui suit sa cupidité sous l’astuce, et qui parfois devient même cynique dans ses actes ou dans ses aveux. Cette faculté d’indignation honnête, ce sens d’énergie palpitante et involontaire que rien n’attiédit, et qui se fait jour, après des intervalles, à travers le factice des diverses positions, est une marque distinctive de certaines âmes valeureuses, et constitue une forte portion de leur moralité. On aime à retrouver ce ressort chez des hommes également haut placés, chez M. de La Mennais comme chez M. de Chateaubriand.