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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

sante, la simplicité lumineuse des horizons ; et c’est par là qu’on le retrouve surtout homérique et sophocléen.

M. de Chateaubriand apparaît donc littérairement comme un de ces écrivains qui maintiennent une langue en osant la remuer et la rajeunir. Toute l’école moderne émane plus ou moins directement de lui. Dans son application à la politique, et dans l’Itinéraire de son voyage en Orient, il a si bien su proportionner son style à la nature des sujets, que c’est aujourd’hui l’opinion universelle qu’il y a chez lui une seconde manière, une seconde portion de son œuvre qui est irréprochable. Mais comme ce mérite d’être irréprochable tient surtout en ce cas-là à un moindre déploiement poétique, je persiste à le préférer dans sa complète et, si l’on veut, inégale manière.

Politiquement, le rôle de M. de Chateaubriand n’est pas moins, à peu près unanimement, apprécié aujourd’hui. Sauf quelques mots, quelques écarts dus à la tourmente des temps et aux engagements de parti, on le voit constamment viser à une conciliation entre la liberté moderne et la légitimité royale. La liberté de la parole et de la presse est, en quelque sorte, l’axe fixe autour duquel sa noble course politique a erré. Et puis, d’époque en époque, on rencontre dans la vie publique de M. de Chateaubriand de ces actes d’honneur désintéressé et de généreuse indignation qui font du bien au cœur parmi tant d’égoïsmes prudents et d’habiles indifférences. Cette faculté électrique qui, lors de l’assassinat du duc d’Enghien, le porta instantanément à briser avec le gouvernement coupable, ne l’a